Le 23 Avril, j’ai animé un atelier à destination des coachs de l’EMCC Aquitaine sur le thème de la Pratique Réflexive qui est un concept de Donald-A Schön un pédagogue américain du siècle dernier. Je remercie les participantes, pour leur participation active et leur accueil.
Pourquoi présenter un concept conçu pour l’andragogie(*) à des coachs ? Les finalités sont pourtant radicalement différentes entre ces deux disciplines des sciences humaines. C’est ce que je vous propose de voir aujourd’hui en présentant ce qu’est la Pratique Réflexive et en quoi elle est utilisable et utile pour la pratique du coaching. Voici les grandes lignes de l’atelier.
(*) Andragogie : Science de l’éducation des adultes, la « péda »gogie pour adultes.
Avant d’exercer le coaching, j’ai exercé l’andragogie. L’utilisation de la Pratique Réflexive appliquée en andragogie m’a été très utile dans l’apprentissage de la pratique du coaching et je poursuis, bien sûr, son utilisation. Lorsque j’ai débuté cet apprentissage, j’ai été frappé par les points communs dans la mise en oeuvre des savoir-faire et savoir-être des deux praticiens, formateur et coach, avec des finalités pourtant radicalement différentes.
L’andragogie a comme finalité l’acquisition de capacités que l’apprenant mettra en oeuvre sous forme de compétences en situation de travail, sans l’appui du formateur, en autonomie donc. Le coaching a comme finalité l’autonomie du coaché après l’avoir accompagné à la détermination et l’atteinte de son objectif. Les points communs des deux praticiens sont les suivants. Ils interviennent tous les deux sur l’humain adulte dans toutes ses dimensions contextuelles, imprévisibles et son unicité. L’apprenant doit être acteur de sa formation, le coaché doit être impliqué dans son processus de coaching pour qu’ils soient tous deux autonomes. Les deux praticiens, formateur et coach, doivent mettre en oeuvre des ressources personnelles, des outils, des méthodes, des stratégies en élaborant des intentions à adapter en temps réel. Ils mobilisent et combinent leurs ressources de manière à élaborer leur tactique d’apprentissage ou d’accompagnement. Ils mettent alors en oeuvre des savoir-faire et des savoir-être qu’ils adaptent en temps réel à la spécificité de l’apprenant ou du coaché. Ces savoir-faire et savoir-être nécessitent d’être acteur tout en étant observateur de sa pratique, c’est un « savoir-réfléchir et un savoir décider en action » . C’est ce que l’on demande à un formateur. Le concept de Pratique Réflexive lui apporte cette méta-compétence au service de la réinterrogation de sa pratique en temps réel.
Dans le métier de coach, la déclaration commune des 3 associations de coaching EMCC, IFC et SFC identifie une capacité chez le coach professionnel « Il a la capacité d’expliciter sa pratique avec des références théoriques établies dans le cadre d’une démarche réflexive » . Néanmoins, dans la formation initiale de coach, on ne parle pas de comment expliciter sa pratique et comment acquérir, maintenir et développer concrètement une démarche réflexive. Cependant, cette déclaration commune fait bien référence à deux notions du concept de Pratique Réflexive, l’explicitation de sa pratique et la démarche réflexive dans des termes identiques ! La Pratique Réflexive est donc aussi adaptée à la pratique du coaching.
La Pratique Réflexive est un concept qui a été conçu par Donald-A Schön, un pédagogue américain du siècle dernier, pour l’andragogie. Il donne une définition du praticien réflexif somme toute simple, mais riche de sens. « Celui qui exerce son art en ayant conscience de sa pratique » . Il y a deux mots importants dans cette définition « art » et « conscience » .
Donald-A Schön aurait pu dire « celui qui exerce son métier » . Non, il a parlé « d’art » ! Quelle différence y-a-t-il entre un métier et un art ? Un métier est exercé par un artisan, qui acquière des compétences, qui les maintient et les développe par la pratique, l’expérience, la formation continue et qui réalise un produit fini utile. L’art est exercé par un artiste, qui est aussi un artisan parce qu’il a acquis et développe des compétences par la pratique. Mais en plus de l’artisan, l’artiste se construit au travers de son art, en faisant quelque chose de beau (artistique) sans pour autant faire quelque chose d’utile. Il adapte ses propres modèles, à partir de modèles existants. Le coach est un artisan, lorsqu’il répond à la demande de son client. Il est aussi un artiste lorsqu’il pratique l’art de l’accompagnement dans toutes les dimensions inscrites notamment au code de déontologie de la profession en adaptant les modèles existants à la spécificité unique de son client.
L’autre terme important de cette définition est « conscience de sa pratique » . Donald-A Schön a souligné que « le praticien en sait plus (sur sa pratique) qu’il ne peut en dire » . En effet, la mémoire procédurale est majoritairement non-consciente. Interrogez-vous sur le comment vous vous y prenez concrètement pour tenir en équilibre lorsque vous faites du vélo ! Lorsque le praticien pratique, il mobilise, ce que Jean Piaget dénomme, « des schèmes inconscients » , des micro opérations dont il n’a pas conscience mais qui permettent, malgré tout, d’atteindre le résultat visé, mais sans savoir comment il s’y est pris concrètement pour réussir. Le jour où ça se passe mal, il est démuni. Pour que sa pratique devienne consciente et qu’il soit capable en temps réel de l’adapter lorsqu’il intervient avec un humain unique, il doit avoir conscience de ses propres schèmes. Pour rendre consciente sa pratique, il convient de la verbaliser (choisir, mettre des mots sur ce qu’il a fait et les agencer sous forme de phrases) et de l’expliciter concrètement et le plus précisément possible (rendre conscient ce qui ne l’est pas). « Expliciter » est à comprendre au sens des travaux de Pierre Vermersch, chercheur au CNRS qui a élaboré la technique d’entretien d’aide à l’explicitation qui justement aide le praticien à expliciter l’inconscient de sa pratique (technique utilisée dans la formation des exploitants du nucléaire et des formateurs).
Donald-A Schön a introduit deux notions à la Pratique Réflexive :
La Pratique Réflexive DANS sa pratique, c’est à dire en temps réel, en situation. En étant à la fois acteur et observateur de sa pratique en conscientisant la boucle continue Observer – Calibrer – Analyser – Comprendre – Agir intentionnellement.
Très difficile à aborder sans la seconde notion ci-dessous.
La Pratique Réflexive SUR sa pratique, c’est à dire en temps différé. L’outil d’acquisition est une analyse de pratique structurée qui constitue l’entraînement à la Pratique Réflexive DANS sa pratique. C’est prendre le temps de décomposer la boucle Observer – Calibrer – Analyser – Comprendre – Agir en réalisant la boucle Expliciter – Analyser – Comprendre – Conceptualiser sa pratique pour la ré-expérimenter DANS sa pratique la prochaine fois. Et ainsi de suite…
Notez bien que pour être performant à la Pratique Réflexive DANS sa pratique, être à la fois acteur et observateur de sa propre pratique en temps réel, l’entraînement à la Pratique Réflexive est à entendre comme l’entraînement d’un sportif, répété périodiquement. Ce n’est pas grâce à une supervision de temps en temps et une analyse de pratique non structurée épisodique que s’acquière la Pratique Réflexive DANS sa pratique.
L’explicitation se réalise entre un interviewer et un interviewé, l’objectif est de rendre conscient ce qui ne l’est pas. Plutôt que rechercher le « pourquoi » , on se focalise sur « le comment » . A partir d’une pratique singulière, l’interviewer s’informe de la pratique de l’interviewé de manière à l’aider à s’auto-informer par questionnement bienveillant pour qu’il apprenne à s’auto-informer seul DANS sa pratique, en temps réel.
Lorsqu’on a acquis la technique d’explicitation de sa pratique on peut tenter de pratiquer la Pratique Réflexive SUR sa pratique, seul. Mais vigilance ! Cela nécessite de bien distinguer le réfléchissement différent de la réflexion (Notions de Yann Vacher, professeur d’université).
Le réfléchissement est « l’expression subjective de la perception d’une situation en faisant surgir ses tensions affectives, cognitives et sociales » . Autrement dit lorsque l’on fait une soit disant réflexion par un dialogue intérieur, ça se passe entre « le haut des yeux et la racines des cheveux » ! Le cerveau transmet les informations de neurone en neurone, de synapse en synapse en prenant les chemins déjà connectés par l’apprentissage, l’expérience, les croyances. En clair, il ne peut y avoir un quelconque esprit critique de sa pratique.
Alors que la réflexion est la source du développement professionnel, parce qu’on y apporte une dissonance cognitive, un esprit critique. Mais pour que ce soit possible, il faut mettre de la distance avec sa pratique. En quelque sorte sortir le vécu de son cerveau sous forme verbale ou écrite et la réinjecter dans le cerveau grâce à la perception d’un sens, l’audition de ce que l’on vient de dire ou la vision de ce que l’on vient d’écrire. On a ainsi une chance d’accéder à l’analyse critique et rationnelle de la perception de la situation et de sa pratique qui en a découlé.
L’explicitation de sa pratique et la démarche réflexive, que la déclaration commune de l’EMCC, l’IFC et la SFC a requis comme capacité du coach, est une source pertinente de développement professionnel. C’est le complément indispensable de la connaissance de son soi personnel qu’un coach doit réaliser, par un travail personnel sur son soi professionnel. C’est apporter à soi-même une vision objective du chemin qui reste à parcourir pour passer du coach que je suis à celui que souhaiterais et devrais être en séance. Le chemin de la congruence.
Si vous, coachs, souhaitez plus d’information sur la Pratique Réflexive, je peux organiser d’autres ateliers sur le sujet, contactez-moi.