
Celles et ceux qui ont étudié la chimie à l’école connaissent le phénomène de catalyse. Parfois, on mélange deux produits, et il ne se passe rien, ou presque. Mais dès qu’on ajoute un troisième élément – le catalyseur –, la magie opère. Les deux produits réagissent entre eux, souvent de manière énergique. Le catalyseur facilite et stimule la réaction. Retenez bien cette équation : catalyseur = facilitateur + stimulateur.
En accompagnement humain – que ce soit en coaching, en éducation, en management ou dans d’autres domaines –, le principe est identique. L’accompagnant pose des questions et, parfois, rien ne se passe. Pour qu’une interaction profonde s’établisse et que la mise en action s’enclenche de manière dynamique, il faut un catalyseur : la question catalytique.
Mais qu’est-ce qu’une question catalytique ? Que faut-il pour passer d’une « bonne » question classique à une question catalytique ? C’est ce que je vous propose de voir aujourd’hui.
Pour celles et ceux qui n’ont jamais fait de chimie à l’école, je vous propose cette très courte vidéo sur le principe d’un catalyseur (Cliquez sur ce lien). En plus de regarder ce qu’il se passe dans le bécher, regardez l’émerveillement du chimiste. C’est le même émerveillement que le coach qui observe l’effet d’une question catalytique.
Origine et principe de la technique
En 1994, dans le cadre de l’accompagnement de professionnels du secteur nucléaire, j’ai été formé à une technique de questionnement fondée sur la PNL(*), la Programmation Neuro-Linguistique, appelée « technique d’entretien d’aide à l’explicitation » (lire ou relire mon article sur cette technique). Grâce à l’intention du questionnement, cette méthode facilite la compréhension du fonctionnement de la personne accompagnée. Elle permet de mettre le doigt sur les causes de ce qui la met en mouvement, et surtout sur ses motivations profondes, souvent non conscientes, liées à des besoins non satisfaits. On parle aussi d’« aligner ses actions avec ses valeurs.«
(*) Lire ou relire mon article sur la PNL.

Cependant, le questionnement seul ne suffit pas toujours. On peut passer des heures à interroger sans que l’alchimie opère. Comme me l’a un jour dit une cliente : « On tourne en rond ! » J’ai alors enclenché une question catalytique : « Moi aussi, je trouve qu’on tourne en rond. Mais autour de quoi tournons-nous tous les deux ? » Cela a provoqué, chez elle, un silence, une profonde interrogation puis une profonde réflexion. Comme elle tournait autour de ce qu’elle refusait de « lâcher prise« , cette question a facilité sa prise de conscience. Elle a permis de travailler sur les raisons de son attachement, pour lâcher ce qui pouvait l’être sans menacer son identité. Le déblocage s’est produit, marquant le début de sa mise en action.
Quand on intègre une question catalytique au processus de questionnement, c’est comme allumer la mèche d’un entrepôt de dynamite !
Intention vs objectif

Questionner une personne doit toujours s’accompagner d’une intention claire. Il existe une différence fondamentale entre intention et objectif :
- L’objectif est un résultat mesurable que l’on cherche à atteindre. Dans l’exemple précédent, débloquer la rotation en rond.
- L’intention donne un sens à l’objectif. Elle oriente la réflexion vers une prise de conscience du fonctionnement de la personne. Dans l’exemple précédent, trouver le moyen de focaliser sur quoi on tourne en rond.
L’intention du questionnement catalytique vise à :
- Déclencher une réflexion profonde,
- Révéler des blocages et leurs causes,
- Ouvrir de nouvelles perspectives.
Pour élaborer une question catalytique, il faut se demander : « Comment formuler ma question pour faciliter sa réflexion, son déblocage ou sa mise en perspective ? » Une question catalytique sort souvent du schéma de pensée habituel de la personne accompagnée. Pour déclencher une réflexion profonde, il convient d’initier une rupture. Dans l’exemple précédent, s’arrêter brutalement de tourner en rond pour analyser autour de quoi on tourne. La question catalytique l’invite à voir le problème sous un angle inédit, comme pour ce type de question : « Et si tu… ? Ça entraînerait quoi ? »
Il est temps de donner « ma » définition d’une question catalytique : c’est une question qui provoque une rupture dans le raisonnement habituel, déclenche une prise de conscience forte et initie un mouvement de transformation intérieure.
Des exemples de questions catalytiques
Voici une liste non exhaustive de questions conçues pour stimuler la réflexion profonde :
- Sur les réactions et émotions :
- « Qu’est-ce que ta réaction/ton émotion/ton action t’apprend sur toi ? » (Pour pousser à analyser ses propres mécanismes.)
- « Si tu avais fait ce que tu t’interdis, que se serait-il passé, selon toi ? » (Pour explorer les peurs liées aux interdits.)
- Sur les blocages :
- « Quels sont les avantages à te maintenir dans cette situation ? » (Pour révéler les bénéfices secondaires de l’inaction.)
- « Si tu avais une baguette magique, que changerais-tu ? » (Pour stimuler la créativité.)
- Sur l’apprentissage :
- « Si c’était à refaire, que ferais-tu différemment ? » (Pour encourager l’analyse rétrospective.)
- « Qu’est-ce que cette expérience t’a appris sur tes besoins ? » (Pour relier l’action aux motivations profondes.)
- Sur les émotions émergentes :
- « Quelle émotion ressens-tu en parlant de cela ? » (Pour s’autoriser à nommer et à accueillir ce qui émerge, voire submerge parfois.)
- « Si cette émotion pouvait parler, que te dirait-elle ? » (Pour donner une voix aux ressentis.)
Notez que chaque question s’accompagne ici d’un « pour » suivi d’un verbe d’action : c’est lui qui révèle l’intention derrière l’interrogation. Quand vous cherchez à provoquer une rupture pour stimuler une réflexion profonde par une question catalytique, dans votre tête, interrogez-vous de ce que vous voulez faire en nommant votre intention. La question catalytique viendra.

Le bannissement du « pourquoi » au profit du « pour-quoi »
Plutôt que de demander « Pourquoi as-tu fait ça ? » qui appelle une justification souvent superficielle, proposez plutôt « Pour-quoi faire as-tu fait ça ? Qu’en attendais-tu ? » avec un tiret entre « pour » et « quoi« . « Pourquoi ? » est une relation de cause à effet. La réponse à « pourquoi ? » est souvent « Parce que… parce que… je ne sais pas ». À la question « Pour-quoi faire ? » on invite à l’exploration du sens et du besoin sous-jacent. Autrement dit, ce type de questions « Qu’est-ce que tu espérais obtenir ? » ou « Après avoir fait ou dit cela, quelle réaction attendais-tu ? » stimule une réflexion méta, c’est-à-dire se voir agir avec intention. C’est une question catalytique.
Le moment clé de « l’après-question catalytique »

Il est vital de porter une attention particulière et précise juste après la question pour savoir si, pour celui qui reçoit la question, c’est bien une question catalytique. Dans le sens où va-t-elle provoquer une profonde réflexion qui devrait déclencher la suite. Je vous invite à observer la personne questionnée, analyser le mouvement des yeux, du visage, du corps, accueillir le silence, ne pas remplir ce vide trop vite pour laisser l’autre le remplir avec sa réflexion. Comme le propose la méthode d’aide à l’explicitation dont je parlais en début d’article, il convient d’encourager la réflexion de l’autre, de borner cet espace de bienveillance et d’empathie, parce que la personne va fournir un effort considérable au regard de sa profondeur de sa réflexion. C’est le moment de prendre son temps.
Sans faire de la neuroscience à la petite semaine, les questions catalytiques activent le fonctionnement de notre cerveau. Comment ? Notre cerveau est une machine à apprendre. Comme 20% du sucre, de l’oxygène et de l’eau qu’on absorbe nuit et jour sont consommés par le seul cerveau qui ne représente que 2% du poids du corps, il se programme de sorte de consommer le moins possible d’énergie. Notre cerveau est programmé pour l’économie de réflexion. En fait, la plupart du temps, notre cerveau réfléchit et décide tout seul dans des routines autoprogrammées. Pour le « forcer » à réfléchir, il faut provoquer une rupture, un effet de surprise pour désactiver le pilote automatique. Les neurosciences nous apprennent que c’est comme cela qu’on active le cortex préfrontal, siège de la flexibilité cognitive face à un imprévu, de la prise de décision raisonnée et de la régulation émotionnelle.
« L’effet collatéral » des questions catalytiques
Une question qui fait émerger des motivations profondes provoque souvent une forte émotion (tristesse, colère, joie, etc.). Cette réaction est normale. L’émotion est l’expression d’une pression intérieure (étymologiquement, ex-pression = sortie d’une pression). Elle peut révéler une frustration ancrée d’une éducation autoritaire par exemple, voire une joie profonde, comme la découverte d’un talent caché, qu’on cache culturellement avec une feuille de vigne, mais qui, lorsqu’il est mis en oeuvre, aboutit systématiquement à l’excellence.
Il ne faut pas craindre ces émotions induites. Elles sont un indicateur que la question était bien catalytique. Comme me l’ont dit parfois des clients « Tiens… c’est vrai, c’est une bonne question(*) ! » La surprise est une émotion de très courte durée qui précède systématiquement une des 4 émotions de base, peur, tristesse, colère ou joie. Ce moment de basculement entre la suprise et l’émotion qui suit est à accueillir, à observer et à analyser parce qu’elle prouve que la question a créé un manque accompagné donc d’un besoin de réponse, déclenchant ainsi une réflexion active et une mise en action. C’est ce que j’appelle la réaction en chaîne déclenchée par le catalyseur.
(*) Lire ou relire mon article sur « c’est quoi une bonne question ? »
Quoi qu’il en soit, vous avez tous les ingrédients pour utiliser l’émotion exprimée et enclencher une autre question catalytique
- La peur qui suit la surprise peut être dû à la perspective de se mettre en danger
- La tristesse qui suit la surprise peut être due à la prise de conscience de la cause de la situation enfouie dans ses motivations profondes issues de son éducation
- La colère qui suit la surprise peut être due l’explosion de frustrations trop longtemps contenues
- La joie qui suit la surprise peut être due à la perspective d’une issue positive à la situation
L’intention de la question sera de faciliter sa compréhension de l’émotion que le client a exprimée.
Conclusion
Il n’existe pas de liste exhaustive de questions catalytiques. Elles s’élaborent dans l’instant, en fonction de :
- L’intention de l’accompagnant,
- Le schéma de pensée de la personne,
- L’objectif visé (prise de conscience, déblocage, etc.).
Et vous ? Avez-vous déjà utilisé ou reçu une question qui a agi comme un catalyseur ? Partagez vos exemples en commentaires !
Pour amorcer la pompe de votre… réflexion profonde…, voici une question que je me posais à moi-même tous les soirs entre mon bureau et le parking avant de rentrer chez moi. C’était une période que je qualifierais de « riche » en événements… très souvent stressants et négatifs. Je me posais systématiquement la question suivante en m’imposant de trouver la réponse avant de tourner la clé de contact de mon véhicule. « Trouve-moi au moins une décision, une action, une parole, un événement positif dans la journée. » Ça me demandait une réflexion profonde pour trier la somme de négatif. Ça avait l’intérêt de sortir du blocage de cette fixette du négatif. Et ça ouvrait des perspectives avec la question suivante « et maintenant, tu fais quoi de cette action positive ? »
Merci, tout à fait intéressant. Pour souvenir d’une formation d’entreprise qui nous avait particulièrement « remuée », je me souviens d’un intervenant (ancien acteur) qui demandait notre opinion sur un sujet (généralement clivant) et ensuite il nous demandait de défendre la thèse contraire oralement pendant 5 minutes… C’était très formateur.
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Merci pour le commentaire. Sur l’exercice dont vous parlez, j’avoue avoir été confronté à ça et même si je n’ai pas eu à le mettre en oeuvre je pense que j’en aurais été capable. Un jour, 5mn avant une réunion, mon chef me demande d’y aller pour une décision à prendre. Ne connaissant pas le sujet et vu le temps disponible, je lui demande s’il faut accepter ou non, faire ou ne pas faire, lui indiquant que je trouverais les arguments en séance. Finalement, il me dit, non, tu décideras en ton âme et conscience en découvrant le sujet. Ce qui m’a permis d’analyser le problème posé suivant les deux thèses antagonistes. Excellent exercice.
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