Et si Elon Musk s’était joué de nos stratégies cognitives ?

Maintenant que chacun s’est fait son opinion et a ancré sa propre conviction sur le geste d’Elon Musk lors de l’investiture de Donald Trump, je vais plutôt aborder ce que ce geste a suscité chez ceux qui l’ont observé. Plutôt que de statuer sur un geste qualifié de « nazi » de « romain » ou de « Bellamy » je vais plutôt m’attacher à nous regarder, nous, qui avons observé ce geste et nous qui en avons tiré une conviction. Ce qui me permettra de rappeler ce qu’est « une stratégie cognitive » et comment et pourquoi elle se met en place à partir de ce qu’on appelle « un biais cognitif. » Je vais définir ces deux notions. Mais, rassurez-vous. Les 8 milliards d’êtres humains, sans exception, font appel à ce même processus, même si le processus n’aboutit pas au même résultat, salut « nazi » ou « romain » ou « Ballamy. » Pourquoi ? Parce que le cerveau des 8 milliards de Sapiens est programmé de la même façon et ça s’explique.

Plutôt que de statuer sur le caractère du geste, comprendre comment notre cerveau fonctionne nous permet d’éviter de se faire leurrer par nos biais cognitifs de manière à éviter de se laisser piéger par la situation créée. Parce que finalement, était-ce un geste polémique ? Était-ce un geste qui a fait polémique ? Le geste était-il intentionnel ? Ou est-ce la polémique qu’il créerait qui était intentionnelle ? Si oui, pour quelle intention ?

Autrement dit, en qualité de communicant professionnel, Elon Musk se serait-il joué de nos stratégies cognitives pour son objectif de communication ?

C’est ce que je vous propose de voir aujourd’hui.

À vos commentaires, en vous proposant d’observer la manière dont vous utilisez vos biais cognitifs et vos stratégies cognitives pour la construction de vos commentaires. Rassurez-vous, je vais faire de même dans cet article…

Voici la séquence vidéo, en version intégrale, puis le geste passé au ralenti pour en percevoir les détails. Cliquer sur la vidéo pour la démarrer et en augmentant le son. Mon intention est de solliciter à nouveau votre processus d’interprétation.

Après ce geste réalisé par Elon Musk, trois camps se sont affrontés.

  • Un camp a vu un « salut nazi » en faisant des rappels explicites sur ce qu’est ce type de salut.
  • Un second camp a vu un « salut romain » qui est matérialisé dans le tableau de Jean-Louis David « Le Serment des Horaces » de 1785. Néanmoins, ce type de salut romain peine à trouver des écrits de l’époque romaine attestant de cette pratique généralisée. Les militaires romains préféraient se saluer en frappant du poing fermé de la main droite la partie gauche de sa poitrine, du côté du coeur. C’est d’ailleurs ce qu’Elon Musk a pris soin de faire en se frappant violemment la poitrine avant de lever le bras. Alors oui, je vous l’accorde, il s’est frappé la poitrine au niveau du coeur sans le poing fermé comme les militaires romains.
  • Dans ce salut, un troisième camp voyait le serment d’allégeance au drapeau américain écrit par Francis Bellamy en 1892 dit « serment de Bellamy » qui s’accompagnait du bras droit tendu. Après que ce salut fût repris par les fascistes italiens et allemands dans les années 1920 et 1930, le 22 décembre 1942, le Congrès américain a alors remplacé le « salut de Bellamy » par la main sur le coeur lors du « serment de Bellamy. » Ce qu’Elon Musk a fait avant de lever son bras droit.
  • On peut alors imaginer que ceux qui « ne voulaient pas » y voir un « salut nazi » l’ont baptisé « salut romain » sans connaître le « salut de Bellamy » par méconnaissance culturelle. Par ailleurs, ce geste a plutôt fait débat en Europe, et particulièrement en France, qu’aux USA. Les USA ayant envoyé de nombreux jeunes GI des plages de débarquement en Normandie jusqu’à Berlin, on peut difficilement penser que l’ensemble des citoyens américains est à majorité des nazis, pour ne pas y voir un salut de ce type. Pour les avoir vécues, la mémoire collective européenne est aussi plus marquée par les atrocités des nazis qu’aux USA. La culture américaine est plutôt marquée par l’appartenance à la nation américaine et au « serment de Bellamy. » La culture n’est donc pas la même en Europe et aux USA. Retenez bien ce point essentiel pour la suite, à savoir la culture qui entraîne l’interprétation d’un fait, d’un geste, d’une situation…

Dans mon article aujourd’hui, peu importe pour moi, ce débat « salut nazi » « salut romain » ou « salut de Bellamy. » Il y a eu un nombre incalculable de commentaires pour chacune des 3 versions, si vous le souhaitez, tapez « salut Musk » sur Google. Je vous propose aujourd’hui une autre analyse.

Je vous propose d’analyser le fait que d’une même situation, trois camps radicalement opposés s’affrontent. Mais sur quoi s’affrontent-ils ? Ils ne s’affrontent pas sur le geste lui-même, mais sur la signification de ce geste. Le débat porte donc sur « l’interprétation subjective » de ce geste. De l’interprétation de la réalité, chacun se crée sa vérité. Et à quoi fait référence une interprétation ? Une interprétation se fonde sur ses propres croyances et représentations. Dans ces domaines, chacun les siennes. Ce que représente Elon Musk pour chacun de nous s’est fondé sur une croyance. Autrement dit, nous l’avons bien rangé dans une case de notre mémoire. Pour moi, il est d’extrême droite, ou alors il incarne l’espoir d’un monde nouveau, ou enfin il est profondément attaché au drapeau américain, alors son geste est… etc.

À partir de ma croyance, je vais sélectionner les éléments qui vont confirmer ma croyance.

Ça s’appelle « une stratégie cognitive » qui est totalement non-conscience, parce qu’elle fait appel à notre apprentissage et à notre programmation culturelle issue du contexte de notre éducation qui bâtit notre construction identitaire. J’ai bien parlé « de non-conscience » et non pas « d’inconscience. » L’inconscience est du domaine de l’inné. La non-conscience est du domaine de l’acquis par l’expérience. Coluche le disait à sa manière : « Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a raison de penser ce qu’on pense ! » Autrement dit, à partir de nos croyances, « une stratégie cognitive » consiste à sélectionner ce qu’on a envie de voir et d’entendre pour confirmer nos croyances et représentations. Mais alors, pourquoi notre cerveau fonctionne-t-il comme cela ?

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Là, c’est du domaine de l’inné. Notre cerveau n’a pas été conçu pour aller sur Mars. Notre cerveau a été conçu pour qu’un chasseur-cueilleur, que nous étions encore il y a 12 000 ans à peine, puisse survivre face à des prédateurs. Dans ces conditions d’errements dans la savane pour la chasse et la cueillette, le cerveau doit toujours être à l’affût des prédateurs. Le néocortex dont la nature nous a dotés est un sérieux handicap lorsque je suis à l’affût du moindre danger. Alors qu’un prédateur me fonce dessus, réfléchir me ferait perdre un temps précieux pour espérer lui échapper. Alors, il faut des choses simples et binaires au cerveau. J’ai vu quelque chose bouger dans l’herbe, ça ressemble à un prédateur. Pas le temps à la réflexion, je dois fuir et/ou combattre.

L’apprentissage d’un enfant sapiens se construit par la connaissance binaire du « dangereux / pas dangereux » pour que le cerveau le reconnaisse en une fraction de seconde et décide en situation de danger, en dehors de tout raisonnement. L’apprentissage est une mémorisation des éléments dans deux cases « dangereux / pas dangereux. » C’est la programmation de l’apprentissage qui se poursuit à l’âge adulte. À chaque blessure, on en mémorise la leçon pour se prémunir du danger qu’on avait mal évalué. Ce qui est classé « dangereux » est aussi le résultat de la culture(*) dans laquelle je suis baigné durant ma construction identitaire. Du contexte culturel, il en résulte des croyances. Par exemple, « les étrangers sont un risque pour la société » ou « les étrangers peuvent apporter une richesse. » Adulte, suivant ma programmation culturelle, quand je vois un étranger… vous imaginez les deux options possibles. C’est ce qu’on appelle « un biais cognitif«  en dehors de tout raisonnement analytique. Ou plutôt, le « biais cognitif » sert de base au raisonnement. Ce type de programmation n’a qu’un seul objectif, prévenir un danger et concourir à l’instinct de survie. Notre cerveau est programmé pour ça en priorité.

(*) si dans la culture éducative, on m’a fait connaître la culture romaine et la culture du national-socialisme avec leurs spécificités, mais qu’on ne m’a pas fait connaître la culture américaine et le « salut de Bellamy » alors il me manque cet élément pour statuer sur le caractère attribué au geste. Il ne me reste alors que deux options, salut « nazi » ou « romain. »

Nous venons de traiter pourquoi et comment notre cerveau fonctionne, qui aboutit à trois interprétations radicalement différentes d’un geste qui fait polémique. Mais finalement, est-ce bien cela l’essentiel ? À mon sens, non ! Je m’explique.

Serions-nous tombés dans le piège tendu par un professionnel de la communication ?

Avant de répondre à cette question, vous voyez que moi aussi, je tombe dans un biais cognitif. Puisque j’ai rangé Elon Musk dans ma boîte des « communicants professionnels » alors je pense qu’il nous manipule. Tous nos raisonnements sont basés sur ce même principe. J’en suis pleinement conscient et poursuis néanmoins…

L’objectif d’un communicant, c’est que l’on parle de lui et / ou de ce qu’il dit. La stratégie d’un communicant sera alors d’attirer l’attention de ses partisans, mais surtout l’attention de ses adversaires en jouant sur l’ambiguïté pour alimenter le débat qui va suivre entre les deux camps. Autrement dit « faire le buzz. » Dans ces conditions, je pense que l’objectif est atteint au-delà de toute espérance. La séquence a fait plusieurs fois le tour de la planète en quelques minutes seulement. Et, en plus du geste, qu’a-t-il dit ? Il a fait appel à l’émotion que suscite la victoire de Donald Trump en soulignant que « le futur d’une nouvelle civilisation était assuré. » Il n’aurait pas fait ce geste, les 8 milliards de sapiens n’auraient pas entendu le message et n’auraient pas éprouvé une émotion, de joie ou de colère, selon l’interprétation du geste. Et maintenant, pour les deux camps, l’information est ancrée. « Une nouvelle ère commence. » Pour ceux qui pensent que c’est un salut nazi, ça provoque la peur du danger du monde que nous prépare un prédateur (dangereux). Pour ceux qui pensent que c’est un salut romain (ou de Bellamy), ça provoque la joie d’une perspective d’un avenir meilleur (pas dangereux).

En conclusion, nos avis sont, non consciemment, orientés par nos croyances issues de notre construction identitaire. Si nous n’en avons pas conscience, on reste sur le combat entre les différentes interprétations subjectives. Lorsqu’on en prend conscience, on dépasse ce premier niveau émotionnel pour s’attacher aux conséquences de la situation et suivant au moins deux axes que je vous propose en réflexion.

  • Personnellement, je pense que le débat devrait plutôt porter sur l’intention de celui qui fait ce geste qui crée une polémique. De manière à être plus attentif à l’intention de la situation créée et plus vigilant à l’éventuelle manipulation la prochaine fois qu’il communique.
  • Je pense aussi que le débat, que la polémique provoque, devrait surtout porter sur le risque ou l’opportunité d’un nouvel ordre du monde ainsi créé plutôt que sur le geste lui-même. Parce que, que l’on ait jugé le geste comme étant un salut « nazi » ou « romain » ou « de Bellamy » , c’est le nouvel ordre du monde créé qui sera notre quotidien d’un avenir proche, c’est une certitude.

Avec ces éléments, je vous propose de lire ou relire mon post de la semaine, « Avec l’investiture de Trump, le retour du grand Monopoly mondial » ou « Quand on a oublié les erreurs du passé, l’avenir est tout tracé. » À vos commentaires…